On trouvera dans le présent livre des articles traitant de
thèmes relatifs à l'Islam et au monde contemporain. La richesse d'une
civilisation et d'une culture ne peut se limiter aux concepts réducteurs que
certains voudraient lui imposer : islamisme, fondamentalisme, extrémisme et
obscurantisme.
La voix de l'Islam est trop souvent étouffée et incomprise... en occident, « Islam » rime souvent avec violence, et « islamisme »
renvoie à des images de terrorisme ? Il est important, comme le fait ici,
Hani Ramadan, de définir la position de l'Islam par rapport aux évènements
actuelles, et de condamner toute démarche médiatique ou politique visant
à troubler les esprits en donnant un éclairage tronqué de l'Islam.
«Pas de contrainte en religion»
affirme le Coran
Sous le titre «les ambitions de l'Islam», l'un de vos lecteurs met en garde
les Occidentaux contre le danger que représente selon lui l'Islam. En tant que
musulman, j'aimerais relever quelques préjugés véhiculés par ses propos. Il
est faux de prétendre que les Coptes sont opprimés en Égypte. Leur présence
active au sein de toutes les institutions sociales et même politiques de la
classe dirigeante démontre de façon péremptoire qu'ils ne font l'objet
d'aucune discrimination. Le fait d'ailleurs que la communauté copte dispose
actuellement d'un nombre considérable d'églises où elle exerce librement son
culte, prouve que l'Islam majoritaire n'a pas la vocation d'écraser et
d'exterminer les minorités non musulmanes. Si tel était le cas, il
n'existerait plus de Coptes à l'heure actuelle. Le Coran affirme «Pas de
contrainte en religion» (2 :256)
Au cours de son histoire, l'Islam a accueilli au sein de son œuvre
civilisatrice les tenants des autres religions, au temps même où l'Occident
connaissait le fanatisme religieux. A Cordoue, des savants musulmans, juifs et
chrétiens contribuèrent pareillement à l'édification d'une remarquable
civilisation. Certes, l'Islam est avant tout un message universel destiné à être
transmis à toute l'humanité, mais en aucun cas il n'autorise des dirigeants à
forcer 1a conscience d'autrui. Le Coran affirme encore «Si ton Seigneur
l'avait voulu, l'univers tout entier embrasserait la vraie foi. Est-ce à toi de
contraindre les hommes à devenir croyants?» (10 :99).
Tribune de Genève, le 2 avril 1993
La tolérance ne doit pas tuer la liberté
Dans sa chronique du 17 avril 1995, Monsieur Jacques Simon Eggly met en
garde ses concitoyens contre le danger représenté par un intégrisme
islamique caché, qui sans s'affirmer ouvertement, n'en serait pas moins
porteur d'idées totalitaires, contraires à nos précieuses valeurs
telles que «la séparation entre la vie publique et les options
religieuses privées».
Je rassure Monsieur Eggly : nous ne vivons pas en Suisse pour «tuer la
liberté». Nous la réclamons, bien au contraire : pour tous les citoyens
du monde, y compris ceux qui vivent en Algérie et dans la plupart des
pays arabes, et qui sont écrasés par les nombreuses dictatures sévissant
contre des peuples martyrisés. C'est contre les formes royalistes et
militaires du totalitarisme que j'invite Monsieur Eggly à s'exprimer
ouvertement pour dénoncer ses régimes que l'Occident, de façon
sournoise, soutient directement ou indirectement. C'est contre les camps
de réfugiés palestiniens et bosniaques, qui ne datent pas d'il y a
cinquante ans, hélas, que je convie notre chroniqueur national à
s'insurger, pour montrer que nos «valeurs fondamentales, qui ont vocation
d'universalité» ne sont pas réservées aux privilégiés et aux élus
de la Terre, mais devraient s'étendre aussi bien aux musulmans de tous
pays (...)
De plus, l'Islam n'est pas une théocratie. L'idée qu'un homme puisse «représenter
infailliblement Dieu» sur Terre est étrangère à l'Islam, et est considérée
par les musulmans comme relevant de l'idolâtrie. Pas plus que le terme «intégrisme»
ne correspond aux pratiques de l'Islam. Depuis les Lumières, on est tout
de même en droit d'attendre de nos brillants
intellectuels qu'ils évitent de soumettre leurs réflexions à des
concepts réducteurs. Les mots ne devraient pas nous empêcher de penser.
C'est une forme d'obscurantisme qui ne peut que réveiller nos humeurs
fanatiques, et nous conduire à traquer les us» comme, jadis, des imbéciles
en bonnets carrés chassaient les sorcières. D'Alger à Sarajevo,
soutenue par des s médiatiques superficiels, cette chasse aveugle a
commencé contre tout ce qui peut être vaguement soupçonné «intégrisme».
Peu nombreux sont ceux qui sont capables de résister aux campagnes de désinformation
visant à défigurer l'Islam. Peu nombreux sont ceux qui affirment haut et
fort que le vrai danger, ce n'est pas l'Islam et ses adeptes, mais
l'ignorance qui nourrit la peur ( .. ..).
Journal de Genève et Gazette de Lausanne, les 13 et 14 mai 1995
Dialogue de sourds avec l'Islam
La fin du siècle annonce le mariage ou le conflit de grandes civilisations. Celles-ci n'ont entamé, jusqu'à présent,
que des «dialogues de sourds». On ne s'entend pas. On ne se comprend pas. Jamais les hommes n'ont prétendu à tant de
«progrès», tant d'universalité, tant de sciences exactes, tant de conquêtes terrestres et spatiales ; jamais ils n'ont entretenu avec autant d'acharnement les craintes superstitieuses d'un autre âge, où l'on considérait les adeptes de «Mahomet» comme les enfants du démon.
L'Islam sera l'une des grandes questions du siècle prochain. Chacun en a conscience. Les observateurs du monde
oriental, mais aussi ceux qui suivent l'évolution des minorités musulmanes
en occident, voient avec stupéfaction la progression du «mouvement islamique», qui petit à petit s'organise, lentement se construit. Ils savent que la force d'une civilisation ne réside pas dans ses techniques, dans son confort ; que le progrès, s'il n'est pas orienté par un idéal qui élève les hommes au rang de leur humanité, n'est qu'une façon d'accélérer leur régression. Jadis, l'on tuait son semblable d'un coup d'arquebuse. Aujourd'hui, on détruit des milliers de vie en un instant. L'homme est resté le même. La volonté d'exterminer, l'intention de dominer sont les mêmes. Mais le
progrès ainsi conçu n'est finalement qu'un «multiplicateur» de ses faiblesses et de ses lâchetés. Combien de cités sauvagement saccagées, aujourd'hui encore et jusqu'au
cœur de notre continent, témoignent de cette monstruosité?
Le mal dont nous souffrons actuellement, et qui affecte notre vie active et nos relations humaines, vient de cette perte d'un idéal commun. Ni l'écologie, ni les droits de l'homme, ni nos prétentions démocratiques, ne suffisent à voiler la
corruption de nos systèmes, où l'homme use et abuse aveuglement de son milieu vital ; agit en défendant les intérêts des minorités privilégiées, au mépris de millions de vies humaines ; et soutient ailleurs des régimes totalitaires et monarchiques, pour assurer sa domination...
Nos enfants ont-ils seulement des notions du «civisme» le plus élémentaire? Où iraient-ils pêcher des idéaux tels que la patrie, la famille, le prochain? A l'heure où les nationalismes s'estompent, où les générations se méconnaissent, où chacun ignore son voisin?
Certes, il ne peut être question de nier la richesse des acquis de la civilisation moderne. Mais la médecine, qui rend la vie plus douce, ne donne pas un sens à la vie. Et vue de la Lune, la Terre ne nous dit pas pourquoi elle tourne.
Sera-t-il enfin devenu clair pour nous, à l'aube d'un nouveau millénaire, que la sagesse dépasse infiniment le savoir et que sans le retour à des valeurs essentielles et universelles, l'humanité se condamne au déclin et à l'aveuglement?
C'est pourquoi le dialogue des civilisations, entre la sagesse orientale et la modernité occidentale, est un impératif vital de notre temps. Et ce ne sont pas des «discussions de salon», ni des ouvrages d'orientalistes savamment conçus qui vont nous permettre de surmonter les obstacles que représentent nos idées reçues. Non, c'est plutôt le regard objectif que chacun doit faire l'effort de porter sur les autres, dans la rue, au travail et en tout lieu de rencontre. Et, bien sûr, devant le poste de télévision ou en lisant le journal.
Malheureusement, les discours médiatiques et la presse sont loin d'être à la hauteur de cette exigence. L'actualité, perçue à travers le prisme de nos préjugés, diffuse un faisceau de ténèbres qui ne laisse rien présager de bon.
« L'Islam, c'est le terrorisme» : d'Alger à Paris, voici enveloppés dans un même tissu de mensonges les fauteurs de troubles et les musulmans.
«L'Islam, c'est la barbarie»: cette pauvre Sarah présumée innocente et condamnée à 100 coups de bâton, le démontre inévitablement.
«L'Islam, c'est l'obscurantisme» : les intellectuels condamnés en sont la preuve.
Rares sont les journalistes qui résistent au piège des mots et à la tentation du tapage médiatique. Discours superficiels agrémentés d'images insoutenables, affirmations gratuites sur des, pratiques inhumaines, une certaine cuisine journalistique que l'on nous sert ne peut à la longue qu'engendrer un réel dégoût pour l'Islam.
Les journalistes ne sont pas innocents. Il est des discours qui tuent; autant que les armes. Mais ce sont des bombes à retardement. Des générations d'hommes et de femmes grandissent dans un climat médiatique malsain, qui brise et détruit par avance tout véritable dialogue, et qui nous entraîne vers une «logique de confrontation».
Il faut donc lutter contre cet «obscurantisme des temps modernes» qui frappe les mentalités et étouffe toute réflexion saine et sereine. On verrait peut-être alors que non seulement les musulmans sont parfaitement capables de s'intégrer aux communautés européennes qui respectent la foi de leurs citoyens, mais encore que l'Islam peut apporter à la modernité la spiritualité qui lui manque, et qui se fonde sur l'amour de Dieu et du prochain. Spiritualité et amour dont nous avons tous plus que jamais besoin. N'est-ce pas?
Tribune de Genève, l'invité
Le 19 décembre 1995
Titre
: Article sur l'Islam et la Barbarie
Éditions : Centre Islamique de Genève - Alysar
Hani
Ramadan
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